Dès la préhistoire la région de Court-Saint-Étienne est occupée par les civilisations des différents âges de la pierre. La trace la plus visible étant la pierre qui tourne à Beaurieux.
Court-Saint-Étienne est située en Belgique, dans la province du Brabant wallon.
Art, histoire, culture, nature et tourisme constituent autant de facettes de son riche patrimoine. Par la défense et l’entretien des sentiers et chemins, l’édition et l’organisation de promenades, d’autres actions encore, notre association s’est donné pour but de protéger ce beau patrimoine commun et d’en promouvoir la connaissance.
Article – Eloge de la boue
Après 14 mois de pluie…
Une version abrégée de cet article a été publiée dans l’Info tout Court de décembre 2024. En voici la version complète.
Elle vous colle à la bottine et vous rend le pas hésitant. À peine ose-t-on encore arpenter le chemin détrempé. Vaincu par la crainte de la chute, on rebrousse chemin, remisant au placard nos appétits du dehors.
La boue, une seule syllabe et tout un monde confrontant.
Parler de la boue, c’est d’abord parler du sol. Cette couche superficielle de quelques centimètres d’épaisseur. Une fine pellicule de terre qui joue pourtant un rôle physique primordial, pourvoyeur d’éléments nutritifs. Le sol est un milieu dynamique d’une grande complexité et lorsque la terre rencontre l’eau, à proportion calculée, la boue se forme.
Piétinée, éprouvée par la battance, la boue gagne sa structure particulière et à chaque fois différente en fonction des aléas du temps et de la composition du sol.
D’emblée mettons de côté ses excès. Nous n’en ferons pas l’éloge. Dans ses débordements, la boue est dévastatrice et ses impacts redoutables. L’actualité nous le prouve encore malheureusement. Ses conséquences nous contraignent à l’urgence de nous questionner sur nos pratiques en matière d’aménagement des territoires. À ce qu’il ne faut plus faire et à ce qu’il est impératif de mettre en œuvre pour éviter les désastres.
Notre rapport à la boue est un rapport complexe. À l’image de notre lien à la Nature ; une oscillation permanente entre l’amour-passion et la crainte farouche voire le mépris. L’être humain aime la nature mais la fange le révulse. La boue répugne ; c’est le lieu du « sale », du « déchet », de la décomposition.
Boue, bouillasse, gadoue, margouillis, combien de noms pour désigner ce peu de terre mélangée d’eau ? De son usage, on a tiré des merveilles et quantité de civilisations se sont dressées grâce à elle. Voyez encore, le torchis qu’on utilisait pour badigeonner les murs depuis les temps les plus reculés – une technique qui revient en force, d’ailleurs. Oui, la boue est une richesse et il est temps aujourd’hui de la considérer avec un regard plus positif.
Ses vertus curatives ont été saluées par les Egyptiens durant l’Antiquité. Les limons suintant du Nil apaisaient les douleurs, calmaient les brûlures. Les Romains firent usage de boues dans les thermes et plus proches de nous encore, la tourbe du plateau des Fagnes dont les applications absorbent les toxines, améliorent la circulation du sang et adoucissent les peaux.
Dans nos promenades, la boue nous met à l’épreuve et cette épreuve est salutaire. La boue nous oblige à la lenteur, à prendre appui, à être attentif à notre corps et à l’obstacle qui s’annonce. Toute une approche en « pleine conscience », en quelque sorte. Avec la boue, on est à l’écoute et on observe le chemin. On garde le lien.
Notre modernité occidentale a fortement atténué sa présence. Il n’en fut pas toujours ainsi ; les siècles qui ont précédé furent monstrueusement boueux. Il fallait « tenir le haut du pavé » pour ne pas rentrer crotté. Quelques vestiges de ces époques subsistent encore dans nos environnements urbains dont notamment les « décrottoirs », ces lames de métal scellées près des entrées et qui permettaient de gratter ses semelles avant de franchir le seuil.
Si aujourd’hui l’aménagement des sentiers est parfois nécessaire pour permettre la mobilité de tous, il ne doit pas être systématique partout. La boue a un rôle au sein du cycle vertueux du vivant. L’hirondelle y puise le matériau indispensable à la construction de son nid, le sanglier s’y complait, le chevreuil trouve dans l’argile de quoi soigner sa blessure, étouffer ses parasites. Et quand l’eau arrive en excès, une mare se forme et c’est tout un biotope qui prend vie parfois même au cœur des friches urbaines ; insectes, batraciens, oiseaux qui viennent s’y abreuver. Toute un monde foisonnant dans un îlot humide.
Pour le naturaliste, c’est aussi un plaisir de roi ; dans la boue se fige la trace de l’animal. Quoi de plus exaltant pour le curieux scrutant le sol à la recherche de trésors ! La boue nous dit tout de nos passages et nous révèle une belle cartographie des chemins.
C’est au poète Francis Ponge que reviendra le mot de la fin « Son attachement me touche » dit-il, « je le lui pardonne volontiers. J’aime mieux marcher dans la boue qu’au milieu de l’indifférence, et mieux rentrer crotté que Grosjean comme devant ; comme si je n’existais pas pour les terrains que je foule. J’adore qu’elle retarde mon pas, lui sais gré des détours à quoi elle m’oblige ». Quoi de plus beau que ces paroles de poète pour rendre grâce à ces noces de la terre, de l’eau et du ciel.
Fabrice Maillez, novembre 2024