L’église Saint-Étienne
Le site :
Nous sommes ici sur un promontoire, éperon naturel dominant les vallées de la Thyle au sud-est, de la Dyle au nord-ouest, de l’Orne au nord-est et rattaché à la colline sur laquelle il s’appuie au sud-ouest par un isthme étroit où passe la route de Villers-la-Ville. Cet isolement a été renforcé par un fossé creusé dans la roche : l’actuelle route de Court à Beaurieux. On retrouve une telle disposition en d’autres lieux judicieusement choisis par nos ancêtres, tels Montaigle au confluent de la Molignée et du Flavion, Poilvache en Haute Meuse, Furfooz sur la Lesse.
Ce lieu, à cause de sa géographie particulière, a très probablement été habité par l’homme depuis les temps les plus anciens. Il permet facilement d’assurer la sécurité de ses habitants par son caractère de forteresse naturelle dominant la vallée. À son point culminant, là où se dresse aujourd’hui l’église, d’autres lieux de culte païens puis chrétiens se sont peut-être succédés. Mais on n’en connaît rien et tant que des fouilles n’auront pas aidé à éclairer ce passé, il restera mystérieux pour le plus grand bonheur de notre imagination... Au nord de ce promontoire, au haut de la rive droite de l’Orne se trouve le « plateau de la Quenique » où les traces visibles de vie depuis le néolithique, plus de 2000 ans avant le Christ, sont nombreuses. On y voit plusieurs tombelles, larges buttes aplaties, sépultures du début de l’âge du fer. Mais les vivants ne vivent pas au royaume des morts et ces traces du passé n’ont pas été recouvertes par leurs constructions successives au cours des siècles, ce qui n’est bien sûr pas le cas ici !
Pour les amateurs de géologie, la roche qui apparait ici est un quartzophyllade, espèce de schiste faisant songer aux roches ardennaises et d’ailleurs sensiblement contemporain de celles-ci, formé par des dépôts marins il y a 500 millions d’années environ. Nous allons la retrouver dans le bas des murs de la tour de l’église.
L’extérieur de l’église :
L’église que nous voyons aujourd’hui occupe le point le plus élevé de ce promontoire, dominant le château et l’ancien village, aujourd’hui la « rue du village ». On peut lire sur ses murs trois époques de construction.
Le plus ancien mur enveloppe le bas des côtés de la tour. Il est en pierre du lieu, cette pierre schisteuse qui se délite souvent avec le temps. La tour remonte probablement au 11e ou au 12e siècle, romane, comme l’attestent ses murs très épais de plus de 1m60, et sa voûte au premier niveau.
Au 16e siècle, l’église menace de s’effondrer sur ses paroissiens. Ils obtiennent - nous rapportent les archives - après de nombreuses requêtes, des abbayes décimatrices de Villers-la-Ville et d’Aywières qui avaient la charge de son entretien, la reconstruction de celle-ci. En 1569, la tour est coiffée d’une flèche et flanquée d’une tourelle d’escalier en « pierre de Gobertange » (calcaire gréseux du Bruxellien, Cénozoïque ou Tertiaire, environ 40 millions d’années) permettant un accès aisé à la tribune, la nef ainsi que le cœur sont reconstruits et la nouvelle église consacrée. La gravure d’Harrewijn qui dessina le site du château vers 1664 pour un ouvrage de Le Roy sur le Brabant, nous la montre telle que l’artiste l’interprète. Cette reconstruction utilise probablement de nombreuses pierres bleues taillées de la région de Feluy et d’Arquennes, comme l’attestent des marques de maitres carriers du 16e siècle visibles aujourd’hui dans le soubassement extérieur de la nef et la façade de la tour, où elles auraient été réutilisées au 18e siècle (« petit granit », calcaire carbonifaire crinoïdique, Paléozoïque ou Primaire, environ 300 millions d’années). L’usage de pierre de Gobertange ou de Feluy et d’Arquennes peut s’expliquer par le passage par Court du chemin de Nivelles à Jodoigne.
Quinze ans à peine se sont écoulés lorsque, en 1584, l’église est incendiée par les troupes calvinistes. Plus de 20 personnes périssent dans cet incendie, certaines se jetant du haut de la tour pour échapper aux flammes.
Au 18e siècle enfin, plus précisément dans le dernier quart de celui-ci, l’église est de nouveau l’objet d’importants travaux. Un document de 1773 la décrit en mauvais état et devant être réparée ou reconstruite. Elle prend alors l’aspect que nous lui voyons aujourd’hui : une nef et un coeur en briques reposant sur un soubassement de pierres de tailles marquées des signes de carriers cités ci-dessus précédés d’une tour rhabillée des mêmes pierres de tailles aux signes lapidaires.
Quelle fut l’importance de la reconstruction ? Nous verrons que la nef est divisé en trois par deux rangées de colonnes. Les tambours de celles-ci portent des signes lapidaires de situation permettant au maçon de savoir où placer chacune de ses pierres pour former la colonne. Pour Jean-Louis Van Belle, grand spécialiste des marques glyptographiques, ce type de signes se rencontre dans trois églises de la fin du 18e siècle. Les colonnes seraient donc nouvelles. Par contre, le tombeau des Provins que nous verrons dans l’église semble, d’après une description du 17e siècle, ne pas avoir bougé. Une partie du gros-œuvre a-t-elle été maintenue ? L’église actuelle parait plus large que celle du 16e, mais n’a-t-elle pas repris des parties des chapelles latérales de l’ancienne église, la chapelle castrale au nord-ouest et la chapelle de saint Jean-Baptiste au sud-est qui se voient sur la gravure d’Harrewijn ? La transformation des murs aurait libéré les nombreuses pierres taillées replacées dans la façade de la tour et ailleurs à l’extérieur de l’édifice. Voilà une intéressante recherche à poursuivre par l’examen minutieux des murs extérieurs et intérieurs...
Avant d’entrer dans l’église, remarquons le tombeau qui se trouve à gauche de la tour. Joachim-Joseph Liboutton, ancien bourgmestre et bienfaiteur de la commune, à laquelle il légua sa fortune pour construire l’hospice qui porte son nom, le fit construire en 1871.
L’intérieur de l’église :
L’église, nous l’avons dit, est partagée en trois nefs séparées par des colonnes portant des signes lapidaires. Elle n’a pas de transept, sa forme est basilicale.
Son mobilier est remarquable. Il comporte une châsse en argent et laiton du 16e contenant entre autres des reliques de saint Étienne. On y voit aussi d’intéressants tableaux : un triptyque, du 16e également, assez classique, don du comte et de la comtesse d’Auxy , propriétaires du château au 19e siècle, une Notre-Dame des Sept Douleurs, du 17e, dans l’autel latéral droit, un tableau du 16e , signalé déjà dans un document du 17e , de Joachim Beuckelaer représentant l’Adoration des bergers, ce peintre flamand étant surtout connu par ses représentations de tables débordantes de victuailles et une très belle Nativité dite de Jacobo Bassano (?), don au 19e de Monsieur Gilion, dans lequel la lumière venant de l’Enfant éclaire extraordinairement les visages des personnages.
Quelques statues aussi méritent l’attention : un calvaire du 17e composé du Christ, de la Vierge et de saint Jean, don du comte de Provins, qui ornait le dessus de la grille fermant le chœur et dont les traces de scellement se voient encore, un saint Étienne du 16e au-dessus du maitre-autel lui-même du 18e, des statues de saint Éloi et de saint Étienne des 16e-17e de chaque côté du chœur, la Vierge au dessus de l’autel latéral gauche, une autre de saint Roch au dessus de l’autel latéral droit, ancien lui aussi.
Les gisants de Louis de Provins et de sa femme Louise van der Gracht, en marbre noir pour le corps et blanc pour la tête, occupent une niche creusée dans le mur de gauche de la nef. Ce remarquable cénotaphe semble ne pas avoir été déplacé depuis sa construction au milieu du 17e siècle.
L’église renferme également plusieurs pierres tombales.
Et puis, dans la chapelle latérale, à droite du cœur, se trouve un Christ au visage d’une infinie sérénité, du 16e probablement, don de Madame d’Auxy qui l’avait fait placer dans le calvaire érigé à ses frais en souvenir de son fils défunt et aussi en remerciement pour la vingtaine de vocations parmi les jeunes filles qui avaient suivi une mission des Rédemptoristes en 1836. Le pittoresque calvaire posé au dessus d’une butte où conduit un chemin bordé de têtards, rue Defalque, en montant vers le cimetière, abrite aujourd’hui une copie fidèle de ce Christ.
Marc Tilmans
mars 2009.
Sources :
- Le folklore brabançon, mars-juin 1984 – N° 241-242.
- Histoire de Court-Saint-Étienne, Philippe-Joseph LEFÈVRE,
manuscrit de 1943 édité par le CHIREL en 2000.
- Signes lapidaires, Belgique et Nord de la France, Nouveau Dictionnaire,
Jean-Louis Van Belle, Louvain-la-Neuve, 1994, 844 p.