Cette « rue », en réalité un lieu privé propriété aujourd’hui de la famille Goblet d’Alviella, n’est rien d’autre que l’ancienne cour d’une ferme du village, la Ferme de la Taverne.

1743

Quelle est l’origine de ce nom ? Lefèvre, dans son Histoire de Court-Saint-Étienne, parle d’une ferme « La Taverne, 52 h., tenue par MM. Coppens, frères et soeurs, appartenant au comte Goblet Louis ». Le dénombrement d’un plan de 1743, faisant partie des archives privées de la famille Goblet d’Alviella et cité dans Le Folklore brabançon, décrit en son n°3 « Franche taverne, jardins et houblonnière, contenante avec la moitié du chemin et de la rivière, demi bonnier et seize verges ». Voilà donc réunies une ferme et une taverne. Toujours d’après Lefèvre, cette franche taverne serait la première maison à droite, en venant de la rue des Écoles. Et qu’était une « franche taverne » ? Voici une explication trouvée chez Charlier pour le Pays de Liège: « Comme dans toutes les seigneuries hautaines, une cour de justice, composée de sept échevins, d’un bailli ou maire et d’un greffier, réglaient les problèmes courants de la vie quotidienne. … Elle se réunissait dans une chambre scabinale mise à sa disposition par le seigneur, dans la franche taverne, seul endroit autorisé à vendre des boissons. ». Ne serait-ce pas le lieu où se rendait la Justice de Paix de l’époque ? Notons qu’une franche taverne est aussi citée à Sart-Messire-Guillaume où la tradition la situe dans la maison dont le pignon est encore aujourd’hui orné de la Croix de Justice.

L’ancienne grange, fortement remaniée, possède une grande porte charretière dont les montants sont faits de pierres marquées de signes étranges, des signes d’identité, marques de maîtres de carrière de la région de Feluy. Leur but était probablement double : publicité et relevé du travail fourni. Leur forme permet de dater ces pierres de tailles, ici du 16e siècle, époque à laquelle fut construite ou reconstruite la ferme de La Taverne. Parmi ces signes lapidaires, on voit un « X » que l’on retrouve sur un montant de la porte d’entrée primitive de la chapelle de Sart, édifiée au 16e siècle. Ce même signe se retrouve sur certaines pierres d’une fenêtre à croisée, heureusement déposée à la ferme de Beaurieux, d’un bâtiment du 16e situé à quelques pas d’elle, aux murs identiques à ceux de cette chapelle et malheureusement démoli aujourd’hui. Les cinq traits obliques inférieurs sont des signes de position. Le lieu est donc construit depuis le 16e siècle, si ce n’est plus tôt.

L’ensemble de cette ferme englobait probablement tous les bâtiments situés entre l’actuelle maison communale, ancienne graineterie Alen, et la Thyle. En aval s’élevait le « Grand Moulin », le moulin banal d’après Lefèvre, et sa ferme qui deviendront une forge, berceau des Usines Émile Henricot.

En arrivant à la rue de la Taverne par la rue des Écoles, on remarque d’abord à gauche, une maison à deux niveaux, de la fin du 19e siècle pour son aspect actuel, et à droite, une longue bâtisse assez basse, plus ancienne et divisée en plusieurs habitations, la franche taverne selon Lefèvre. L’une des portes de cette dernière est cintrée, aux montants de pierres chainées, irrégulières. Dans les pignons de ces deux constructions, on distingue des traces de baies et d’anciens épis qui formaient le bord de la toiture primitive de ces logis, avant que le 19e siècle ne voie leurs volumes transformés.

On rencontre bientôt sur la gauche une grande remise, reste de la grange fortement remaniée citée ci-dessus.

À droite, un peu plus loin, apparait le bâtiment le plus intact de l’ensemble : un double logis surélevé, aux baies rectangulaires à encadrement de bois, inscrites en creux dans un cadre de briques surmonté d’un arc en plein cintre. Quelques marches en « schiste de Laroche » conduisent à chacune des deux portes d’entrée. Il s’agit là d’une architecture caractéristique des constructions industrielles du début du 19e siècle. Ces maisons auraient été construites comme logements ouvriers lors de la création des futures usines Henricot, alors qu’elles appartenaient au général Goblet, comte d’Alviella, et à son fils Louis. On ne voit pas encore ce bâtiment sur l’Atlas des sentiers et chemins de 1841 mais bien sur un plan de l’usine Henricot de 1875 et, de dos, sur une photo, peut-être un peu antérieure, de la forge. Il aurait donc été édifié entre 1841 et 1875. Ce bel ensemble est précédé par un bâtiment plus récent, de volume à peu près identique mais sans surélévation, à deux niveaux et aux baies simplement rectangulaires.

Si la rue de la Taverne présente un grand intérêt historique pour Court-Saint-Étienne, elle possède également un réel intérêt urbanistique. Voici ce qu’en dit Geneviève Moreau, architecte :

«L’implantation, la volumétrie des différents bâtiments se différencient des alignements de la rue classique des derniers siècles. Par ses décrochements et ses angles non orthogonaux, elle présente des espaces résiduels riches et dynamiques, qui s’apparentent à ce que l’on trouve encore dans les quartiers préservés de l’époque médiévale ou plus banalement dans les quartiers de nos villages les mieux conservés dans leur intégrité.

Le tout gardant une belle harmonie de proportions et de matériaux. »

Marc Tilmans, 2016

Concluons en disant que ces bâtiments de formes diverses, vestiges de l’ancienne franche taverne, irrégulièrement répartis le long d’une voie sinueuse, forment un ensemble plein de fantaisie et de charme. Si le côté rue des Écoles montre des constructions qui peuvent en partie remonter au 17e ou même au 16e siècle, celles-ci n’ont pas le caractère particulier et très intéressant des maisons qui jouxtent la place des Déportés et le Hall 11. Ces dernières, non remaniées, intactes dans leur forme, belles par l’appareillage de leurs façades aux fenêtres inscrites dans des baies en plein cintre sont les éléments les plus attachants pour le regard et précieux par leur témoignage d’une époque où, à Court-Saint-Étienne, naissait une industrie qui marqua profondément, non seulement le village et sa région, mais aussi l’histoire industrielle de la Belgique.

Sources :

CHARLIER, Joseph, Hosdent, dans LHEUREUX, Philippe (sous la dir.), Patrimoine au Pays Burdinal Mehaigne. Les chroniques du patrimoine, éd. GAL Burdinal, 2008, p. 4-6.

HAULOTTE, Edgard et LE PAIGE, Emmanuel, Les Usines métallurgiques Émile Henricot à Court- Saint-Étienne, Court-Saint-Étienne, 2014.

LEFÈVRE, Philippe-Joseph, Histoire de Court-Saint-Étienne, 1943, édité en 2000 par le CHIREL de Court-Saint-Étienne.

Le Folklore brabançon, 241-242, Bruxelles, 1984.
Le Patrimoine monumental de la Belgique, 2, Liège, 1974.
Patrimoine architectural et territoires de Wallonie, 16, Wavre, 2010.
Quelques fermes remarquables de Court-Saint-Étienne, Éd. Du Patrimoine Stéphanois a.s.b.l., 1996.

VAN BELLE, Jean-Louis, Signes lapidaires, Belgique et Nord de la France, Nouveau Dictionnaire, Louvain-la-Neuve, 1994.